Interview de Daniel Villa Monteiro : Les mutations technologiques du Web3 appliquées à la finance

Daniel, comment avez-vous découvert votre passion pour l'économie numérique et les crypto-monnaies, et quel a été le moment décisif qui vous a poussé à vous engager dans ce domaine?

J’ai depuis très tôt été fasciné par les systèmes décentralisés.
Notamment ceux qui permettent la gestion des noms de domaines, le routage sur Internet, bref les organisations semi-humaines et semi-automatiques qui permettent la mise en place de systèmes très robustes, fiables et pleinement consensuels.
Je les vois comme une horlogerie précise dont le fonctionnement de certains n'a pas été remis en question depuis plus de 40 ans, et cela malgré l’explosion imprévue d'Internet.
En découvrant Bitcoin et Ethereum, j’ai découvert les mêmes mécaniques, robustes, décentralisés et, osons le dire, inarrêtables par design.
Développeur sur technologie Web, il m’était normal de s’intéresser à cette nouvelle manière de concevoir les applications, le fameux Web 3.0 porté par les technologies d’Ethereum.
Car oui, Ethereum n’est pas juste une monnaie, mais une plateforme prometteuse de solutions applicatives très innovantes dont l’usage se “paye” en ETH, l’une des crypto-monnaies les plus connues.
C’est du pétrole numérique pour rouler dans ce nouveau monde.
Je ne vois donc pas Ethereum comme un banal actif financier, c’est le carburant de tout un système économique (Finance décentralisée), applicatif (NFT, Web3…) et industriel (EVM), tout aussi épais et intéressant que les infrastructures numériques traditionnelles.
En codant du Web3, j’ai réalisé combien c’était puissant et robuste, impossible alors de faire machine arrière.
Par la suite, ces nouveaux paradigmes vous incitent à vous intéresser à ce qu’est réellement la monnaie, un sujet passionnant qui n’est presque pas abordé dans l’éducation de notre pays.
A ce titre, Bitcoin est une révolution monétaire inégalée dans l’histoire. Car il ne s’agit pas d’une révolution portée par la politique, mais par le réel… et c’est très puissant.

Dans votre rôle de directeur pédagogique chez Alyra, comment parvenez-vous à rendre les concepts complexes de la blockchain accessibles et engageants pour les étudiants?

En réalité, ils ne sont pas aussi complexes que cela. Le fonctionnement de Bitcoin est infiniment plus simple que le fonctionnement du système bancaire ou monétaire.
C’est une approche à la DaVinci, imaginer le noyau fonctionnel le plus efficient et simple possible, celui auquel on ne peut rien enlever, et ce squelette fonctionnel n’est pas si complexe.
Sur la forme, il n’y a pas de mystère :
Trouver les bonnes métamorphes et multiplier les supports, schémas, approches, interlocuteurs…
Mettre les mains dans le cambouis, il ne sert à rien d’expliquer ce qu’on ne pratique pas. Les apprenants chez Alyra FONT du Web3 et de l’IA, nous voyons les plans de la maison mais surtout on la construit ensemble.
L’humain, l’humain et encore de l’humain. Une école, c’est des rencontres, pas juste une suite de vidéos bien pensées. C’est la raison pour laquelle les principaux parcours d’Alyra comprennent 80h de face à face pédagogique sur les 120h de formation.

Ayant exploré l'économie numérique à travers votre carrière et vos publications, pensez-vous que la crypto-monnaie peut atteindre une adoption massive, ou reste-t-elle le domaine de niches spécialisées?

Les premières utilisations d’Internet étaient un enfer : de longues configurations, les applications étaient incompréhensibles !
Même l’usage de l’IA était infernal avant l’arrivée des Chats GPT et ses cousins.
Aujourd’hui faire un transfert en Bitcoin est aussi simple qu’avec une application bancaire, vous scanner un QCode, vous saisissez le montant et vous cliquez sur “envoyer”, on ne peut pas faire plus simple.
D’ailleurs installer un wallet Bitcoin sur son portable prend 3 minutes sans AUCUNE pièce justificative, ce qui est bien plus simple que de créer un compte bancaire.
Par contre, il y a une véritable barrière sociale, c’est celle de la responsabilité de l’utilisateur.
La puissance du Web3 (et non sa faiblesse) c’est qu’il n’y a pas de “Mot de passe perdu”. En somme vous êtes le seul et unique responsable de votre mot de passe, aucune entreprise n’a le pouvoir technique de réinitialiser votre mot passe et c’est voulu !
Cela n’est pas un vrai problème car dans notre quotidien, il n’y a pas la fonctionnalité “Billet de 100€ perdu”, on sait très bien faire attention à notre argent lorsqu’il est “papier”, mais dans le monde numérique, nous avons été “éduqués” à avoir des centaines de filets de sécurité.
C’est donc une question d’éducation, de responsabilité, devenir un “adulte numérique” là où la mode a toujours été d'infantiliser l’utilisateur numérique à l’extrême.
L’usage “pur” des crypto-monnaies sera donc conditionné à la l’acceptation sociale de cette responsabilité. Par contre, un usage semi-pur, avec des intermédiaires de sécurité va inévitablement se démocratiser.
Cela sera même transparent pour la majorité des utilisateurs, les grands noms du paiement privé (Paypal, Apple Pay…) sont déjà en train de faire le virage, les banques suivront.
Ces nouveaux systèmes sont déjà plus efficaces et robustes que les systèmes actuels, il y a juste une phrase de deuil plus ou moins longue à accepter.

Vos expériences en tant que passeur technologique vous ont-elles permis d'identifier des frictions institutionnelles qui freinent l'adoption des technologies blockchain? Quelles solutions préconisez-vous?

C’est systématiquement les mêmes frictions pour toutes les révolutions technologiques.
Cependant, c’est bien plus compliqué que le “lobby maréchal-ferrant” luttant contre l’automobile, lourdement diabolisée à son arrivée, comme l'électricité et tout ce qui dérange des rentes économiques en place.
Pendant quelques siècles, la puissance de l’Etat était la meilleure solution technique à la mise en place d’une monnaie viable à grande échelle, toutes les autres solutions semblaient moins intéressantes (métallisme etc..).
Hors une monnaie n’a pas besoin d’un Etat, mais d’une autorité… et pendant longtemps la physique était cette autorité (or, argent…) ce qui faisait que les marchands n’acceptaient pas que la monnaie de leur royaume, loin de là.
Hors Bitcoin propose de remplacer cette autorité, avec une forme de métal électronique qu’est l’unité BTC. Énergétiquement calibré sur les capacités énergétiques disponibles. C’est donc une monnaie énergie (comme l’or) et non une monnaie dette.
Même si cette alternative à l’immense inconvénient de ne pas être pilotable, elle ouvre une porte qui n’a jamais été ouverte avant.
Or aujourd’hui, ce n’est pas vraiment la monnaie qui a besoin de l’Etat, mais l’Etat qui a besoin d’une monnaie pour piloter son économie (et financer sa dette)...
Il est donc légitime de s'interroger sur cette situation de monopole, de “monnaie d’Etat”. De la même manière que nos ancêtres ont remis en question la notion de “Religion d’Etat” même face des promesses de chaos insurmontable.
Ce n’est donc pas un combat technologique, mais politique. Qui revient à faire accepter aux populations et aux politiques qu’une libre concurrence des monnaies est juste pensable.

La bande dessinée que vous avez écrite sur la blockchain a probablement capté l'attention de personnes hors du milieu académique. Quelle a été votre motivation derrière ce projet, et quel impact espérez-vous qu'il ait?

Je préfère dire hors de l’écosystème crypto plutôt que de parler du milieu académique. Mais il est totalement vrai que cette bande dessinée est principalement destinée à celles et ceux qui n’y connaissent rien, mais désire quand-même comprendre un peu ce qu’il se passe.
Pour cette raison, “Alice au pays des cryptos” n’est pas un manuel technique, ni financier, c’est l’histoire de la découverte de ce monde.
Et c’est peut-être l’angle le moins abordé dans la littérature autour de Bitcoin ou de la blockchain.
Si on veut comprendre ce qu’est vraiment le surf, cela ne sert à rien de parler de la mécanique des fluides ou de la composition chimique des planches de surf, il faut raconter l’histoire d’un ou d’une surfeuse.
C’est exactement l’histoire d’Alice au pays des cryptos, l’histoire d’une étudiante en art qui se demande quoi faire d’un héritage inattendu et qui découvre Bitcoin.
C’est un chemin initiatique découvert par des millions de personnes sur Terre, une histoire passionnante dans laquelle un être humain s'interroge sur ses croyances et découvre une manière différente de voir le monde.
Et pour garder le parallèle, aujourd’hui sur Terre, il y a plus de détenteurs de crypto que de planches de surf…
J’espère qu’Alice va inspirer de très nombreuses histoires sur ce sujet avec honnêteté, sans drama, car la population des détenteurs de cryptos approchent la population de l’Europe et que nous levons les yeux aux ciels devant l’écart abyssal entre la réalité et le traitement médiatique.
Nous sommes en train de créer une fracture numérique grave et importante, entre le réel et ce que les journalistes fantasment.

En observant l'évolution rapide de l'économie numérique, quelles tendances émergentes voyez-vous avoir un impact significatif sur les crypto-monnaies dans les cinq prochaines années?

L’usage des “stablecoins” pour le paiement, ces cryptos dont la valeur est adossée au monnaie d’Etat pour faire des paiements internationaux en quelques secondes, sans besoin de chambre de compensation et de manière bien plus efficiente qu’aujourd’hui.
La tokenisation des actifs financiers traditionnels car cela facilite l’intégralité de la chaîne de valeur, de la détention au transfert.
L’authentification web3, je pense que nos wallets seront demain utilisés de la même manière qu’on utilise un compte Google pour ne plus retenir 100 mots de passe différents.
La notion même de “Creer un compte” ou “Vous connecter” n’aura plus de sens. Si vous avez un wallet crypto installé sur votre navigateur, vous êtes directement connecté et associé au compte créé à la volée si besoin.
C’est déjà le cas dans les applications Web3 et la DeFi (finance décentralisée), la notion de user/mot de passe est déjà un archaïsme technologique.

Enfin, quel conseil donneriez-vous aux dirigeants d'entreprise qui hésitent encore à intégrer les technologies de la blockchain dans leurs modèles économiques, et comment devraient-ils aborder cette transition?

De la même manière que ces mêmes dirigeants se sont interrogés sur l’arrivée des ordinateurs il y a 30 ans ou tout simplement l’IA aujourd’hui.
Diriger c’est comprendre le monde, aucun capitaine de bateau ne devrait faire fi de la météo avant de naviguer. Les mers économiques changent, il faut les comprendre.
Pas 100 façons de faire, il faut se former ou s’accompagner d'experts correctement formés.
C’est la raison pour laquelle nous formons les professionnels Web3 et IA depuis des années en ayant les trois plus importantes certifications Web3 de France validées par le ministère du travail (France Compétence).
Il faut aussi prendre conscience qu’en plus de s’éduquer soi, il vont aussi devoir accompagner les utilisateurs dans cette transition ce qui n’est pas une chose toujours aisée.
Le sujet du Web3 est déjà dans le banal de la politique américaine et asiatique, ce n’est pas notre paresse intellectuelle qui va dicter l’avenir, mais notre capacité à en faire partie.

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